La politique de «quantitative easing» maintenue coûte que coûte par la Banque centrale européenne n’a pas eu d’effet sur le taux d’inflation sous-jacent qui reste autour de 1 % par an dans la zone euro, écrit Christian Saint-Etienne. Mais elle porte des coups sensibles à l’assurance-vie ou à la rentabilité des banques.

Par Christian Saint-Etienne, vice-président de la Fondation Concorde

La Banque centrale européenne (BCE) conduit une politique monétaire qui, de réponse appropriée aux déséquilibres macroéconomiques et à la faiblesse des institutions européennes en 2012-2014, est devenue dangereuse depuis 2017 alors que la forte accélération de la croissance observée cette année-là permettait de mettre fin à un taux de dépôt devenu négatif en 2014 et abaissé à – 0,4 % en mars 2016. A l’inverse du souhaitable, ce taux a encore été réduit en septembre 2019.

En janvier 2015, la BCE a annoncé un programme de rachats de titres publics et privés au rythme de 60 milliards d’euros par mois qui a démarré le 9 mars 2015, chaque banque centrale nationale membre du Système européen de banques centrales (SEBC) rachetant des titres publics de son pays. Elle cherche à relancer l’activité pour porter l’inflation à un rythme annuel proche de son objectif de 2 % – alors qu’un objectif compris entre 1 % et 1,5 % conviendrait mieux à la réalité monétaire et financière européenne depuis 2015. Le volume mensuel d’achat a été porté à 80 milliards d’euros en avril 2016, en incluant les dettes des entreprises.

Après avoir réduit le rythme mensuel d’achat à 60 milliards d’euros au printemps 2017 puis à 30 milliards d’euros au début 2018 et 15 milliards d’euros à l’automne 2018, la BCE a stoppé les achats nets de titres en décembre 2018. De mars 2015 à décembre 2018, la BCE a acheté pour 2.600 milliards de titres et son bilan est de l’ordre de 4.700 milliards d’euros, soit 41 % du PIB de la zone euro.

La BCE a repris ses achats mensuels nets de titres à hauteur de 20 milliards d’euros au 1er novembre 2019. Son taux directeur (refi) est à zéro et le taux appliqué sur les dépôts des banques a été porté à – 0,5 % (mesure annoncée le 12 septembre 2019). Christine Lagarde a remplacé Mario Draghi, l’auteur de cette politique, au 1er novembre 2019. Ces mesures ont été confirmées le 12 décembre 2019.

Cette politique dite de «quantitative easing» n’a pas eu d’effet sur le taux d’inflation sous-jacent, qui reste autour de 1 % par an dans la zone euro et n’a pas empêché le ralentissement économique qui résulte d’une moindre croissance du commerce mondial. Mais elle a commencé à porter des coups terribles à l’assurance-vie, à la rentabilité des banques de la zone euro et au moral des épargnants qui ne supportent plus la forte chute des rendements de l’épargne. Les entreprises n’en profitent même pas pour investir massivement, car elles s’inquiètent de la faiblesse de la croissance de la zone euro et du ralentissement de la croissance mondiale.

La BCE dispose aujourd’hui de trois instruments principaux pour conduire sa politique monétaire : la détermination des taux d’intérêt, la politique d’achat de titres principalement publics et les LTRO. Ces derniers («long term refinancing operations») sont des prêts à long terme (3 ou 4 ans) accordés aux banques commerciales par la BCE. En mars 2019, la BCE a annoncé le lancement d’une troisième série d’opérations ciblées de refinancement de long terme, les TLTRO ou «targeted LTRO». Les TLTRO 3 ont une maturité de 3 ans et ces opérations seront conduites de septembre 2019 à mars 2021.

Compte tenu des dégâts provoqués par les taux négatifs sur la rentabilité des banques européennes et la stabilité du système d’assurance-vie, il est devenu urgent que la BCE remonte son taux de refinancement (refi) de 1 point de pourcentage en deux ou quatre fois – deux hausses de 50 points de base. Le taux de dépôt serait à + 0,5 % et le refi à + 1 %.

Les deux autres instruments sont suffisants et plus appropriés pour permettre à la BCE d’assurer la liquidité des banques commerciales et le refinancement à taux faible des Etats membres de la zone euro à condition qu’ils respectent les limites réglementaires de déficit et d’endettement.

En cas de nouvelle crise comparable à celle de l’été 2012, il suffira que la présidente de la BCE annonce qu’il n’y a temporairement plus de limite aux TLTRO et aux rachats de titres publics afin d’assurer la stabilité du système financier et des Etats.

Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la chaire d’économie au Conservatoire national des arts et métiers

Publié dans Les Echos le 20/02/2020

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