Carole et Daniel SERENI le 15 octobre 2019

 

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Médecins tous deux, interniste et neurologue, nous voyons croître chez une partie des consultants et de leur famille des attitudes de méfiance infondée vis-à-vis des soins ou des diagnostics. Au-delà du questionnement légitime profitable à la relation soignant-malade, les a priori hostiles basés sur une information biaisée glanée sur Internet ou dans des media irresponsables deviennent de véritables obstacles à la pratique des soins. En partant d’exemples de désinformation manifeste, nous avons voulu rétablir la vérité en apportant des réponses basées sur l’analyse des données scientifiques et l’avis d’experts reconnus.

 

Positionnement général du problème

L’exemple le plus connu est celui de Steve Jobs. Le cofondateur d’Apple et de Pixar, est mort le 5 octobre 2011, à l’âge de 56 ans, d’une tumeur neuroendocrine, forme rare de cancer du pancréas, dont le traitement est beaucoup plus efficace que celui du cancer habituel, à condition d’opérer tôt quand la tumeur est de petite taille. Le diagnostic avait été porté chez lui en octobre 2003, mais l’intervention chirurgicale n’a eu lieu que neuf mois après, et le cancer avait déjà̀ atteint d’autres organes. Que s’est-il passé, et pourquoi un des hommes les plus puissants du monde n’a-t-il pas bénéficié du meilleur traitement possible ? De façon surprenante et paradoxale, ce brillant scientifique, visionnaire en matière de technologie de pointe, n’a pas fait confiance à la science médicale : il a choisi de s’en remettre à des méthodes non éprouvées, dites de médecine parallèle.

Cet exemple n’a pas pour but d’attaquer spécifiquement des médecines complémentaires mais la désinformation qui conduit à renoncer à un traitement qui aurait pu entrainer la guérison

On voit que les patients sont de plus en plus vulnérables aux « fake news » et à la manipulation, en particulier ceux dont les symptômes sont inexpliqués et les diagnostics difficiles. Le doute envers les données de la science touche de plus en plus de gens et les fondements de la pratique médicale moderne ne sont pas compris. De même trop de personnes en situation d’autorité et de responsabilité dans l’administration ou la justice ne savent plus distinguer les vrais experts reconnus par la communauté scientifique des soi-disant experts auto-proclamés. Une telle attitude conduit à des décisions aberrantes en matière de santé.

En tant que citoyens, nous ne pouvons qu’être concernés par le retentissement possible de ces attitudes de défiance sur la santé publique, comme vient de la démontrer l’épidémie de rougeole qui n’avait aucune raison de se produire si les recommandations de vaccination avaient été suivies. Les refus ou les retards à la mise en place d’un traitement essentiel qu’il s’agisse par exemple de prévention cardio-vasculaire ou de cancers, et les croyances exagérées dans des formes de prise en charge non prouvées font obstacles à une bonne utilisation des ressources de santé tout en pouvant nuire de façon catastrophique aux individus concernés

 

Résistance à la vaccination

En 2018, l’OMS a placé la résistance à la vaccination parmi les dix problèmes sanitaires prioritaires dans le monde.

La France est particulièrement concernée : dans une enquête globale réalisée en 2015, notre pays détenait le record de méfiance avec 41 % des personnes interrogées convaincues de la dangerosité́ des vaccins – une attitude très différente de celle de nos voisins européens comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, où le chiffre de ceux qui craignent les vaccins est plus proche de 13 %.

En France, selon une note de 2018 du Ministère de la Santé, la couverture vaccinale antigrippale du personnel hospitalier était inférieure à 25 %.

Alors que la rougeole avait pratiquement disparu pendant plusieurs années dans notre pays, une épidémie sévère s’est déclarée de 2008 à 2011. Le nombre total des cas au cours de cette période est estimé à 50 000. Près de 5 000 malades ont dû être hospitalisés pour des complications, en premier lieu des pneumonies, mais aussi des hépatites, des pancréatites et surtout les redoutables complications neurologiques que sont les encéphalites et myélites, souvent responsables de séquelles et de handicaps. Dix personnes sont mortes, sept de pneumonies, deux d’encéphalites et une de myocardite (atteinte du cœur).

La cause de cette épidémie est claire : la couverture vaccinale en France est une des plus faibles de pays industrialisés, et elle est largement inférieure au taux qui assurerait la protection de la population.

L’opposition à la vaccination contre la rougeole résulte en grande partie d’une « fake news » caractérisée ! En 1998, un pédiatre anglais spécialisé́ dans les maladies de l’intestin, le Dr Wakefield, a publié́ un article médical liant la vaccination « ROR » (rougeole, oreillons rubéole) à l’autisme. En fait sa recherche s’est avérée frauduleuse et il a été démontré à plusieurs reprises qu’il n’y avait strictement aucun rapport entre ce vaccin et l’autisme.

Malgré cela, plusieurs années après la mise en évidence de la fraude du Dr Wakefield, un quart des parents interrogés au cours d’une enquête pensaient encore que le lien entre vaccination anti-rougeole et autisme était prouvé́ scientifiquement.

Le même problème s’est produit lorsque la vaccination contre l’hépatite B s’est répandue. Plusieurs personnes souffrant de sclérose en plaques ont déclaré́ que leur maladie était apparue après la vaccination contre l’hépatite B. On a admis un peu facilement que cette coïncidence constituait une preuve, et les personnes atteintes ainsi que leurs neurologues ont exprimé́ leurs inquiétudes et ont milité pour arrêter le programme de vaccination français contre l’hépatite B. En octobre 1998, les autorités de santé décidèrent un arrêt partiel des campagnes de vaccination. Mais en réalité on a démontré à plusieurs reprises l’absence totale de lien entre vaccination anti-hépatite B et sclérose en plaques. Malgré cela, en juin 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne a rendu un arrêt que beaucoup ont jugé stupéfiant qui rendait le laboratoire Sanofi Pasteur responsable de la sclérose en plaques contractée par un patient. Les arguments des juges étaient totalement absurdes sur le plan médical et scientifique et démontraient leur absence de capacité de comprendre des données élémentaires.

 

Maladie de Lyme

Pourquoi cette maladie infectieuse, originale par son mode de transmission (après morsure de tique), mais assez banale par ailleurs, a-t-elle sa place dans ce livre ? Un débat, peu à peu transformé en combat par certains, s’est développé́ au cours du temps au sujet des formes dites « chroniques » de la maladie de Lyme.

Des mois ou des années après l’infection initiale, la Borrelia peut encore donner des troubles : c’est ce qu’on appelle la forme tardive de la maladie de Lyme ou « phase tertiaire ». C’est un peu comme la tuberculose qui donne des primo-infections, mais aussi des lésions pulmonaires ou neurologiques des années après. La maladie de Lyme dans sa forme tardive cause des manifestations persistantes neurologiques articulaires plus ou moins inflammatoires. Du fait de l’existence de ces formes tardives qui restent rares, certains ont voulu attribuer à a maladie de Lyme tous les symptômes mal définis : douleur diffuse, fatigue, picotements… L’absence de trace de la maladie dans les tests sanguins doit conduire les médecins à réfuter cette hypothèse.

Malheureusement on a vu au cours des dernières années éclore des laboratoires « indépendants » dirigés par des biologistes plus ou moins bien intentionnés se déclarant « spécialisés dans la maladie de Lyme ». Ils ont mis sur le marché́ des tests diagnostiques et des algorithmes prétendus plus performants pour le diagnostic de la maladie. En réalité́, ces tests non reconnus par les agences nationales officielles et non remboursés augmentent considérablement le nombre des « faux positifs ». Ceci a été bien démontré́ par une étude réalisée aux États-Unis : en utilisant ces méthodes non validées chez des sujets en parfaite santé́ et qui n’avaient jamais été exposés aux morsures de tiques, les auteurs ont observé́ plus de 50 % de « faux positifs ». C’est-à-dire qu’avec un tel système une personne sur deux, prise au hasard dans la population, serait diagnostiquée comme ayant une maladie de Lyme. Certaines associations de patients ont cependant exercé un lobbying intense pour que ces tests soit reconnus. C’est donc dans ce contexte tendu que la Haute Autorité́ de Santé (la HAS) a édité́ en juin 2018 des recommandations consacrées à la Borréliose de Lyme qui ont soulevé un tollé général dans la communauté médicale parce qu’elles accordaient une reconnaissance institutionnelle à des théories fausses et en fait nuisibles aux patients.

 

Régimes

L’engouement exagéré et parfois fanatique pour les régimes plus ou moins fantaisistes touche de plus en plus nos concitoyens.

Prenons l’exemple du régime sans gluten qui est tout à fait justifié quand on est atteint d’une maladie cœliaque qui touche environ 1% de la population et qui peut aussi être bénéfique si on a une vraie sensibilité intestinale au gluten.

Selon les études, jusqu’à 13 % de la population pense être sensible au gluten, mais les tests de réintroduction du gluten en double aveugle montrent que moins d’un sur cinq d’entre eux ont réellement une intolérance intestinale à ces protéines.

Pour les autres le régime sans gluten est globalement sans intérêt voire même nuisible.

Aux États-Unis une étude a montré́ que des personnes saines, qui suivaient un régime sans gluten auto-prescrit, sans aucune indication médicale, déclaraient avoir perdu en moyenne 1,3 kg en un an. Cette perte de poids minime ne s’est d’ailleurs pas accompagnée d’une amélioration métabolique : ni la glycémie, ni le cholestérol et les triglycérides ni la pression artérielle ne se sont normalisés.

Les aliments sans gluten, nettement plus chers que les autres (+200 % pour les pâtes, par exemple) sont une merveilleuse opportunité de nouveaux profits pour l’industrie agroalimentaire.

À la fin de l’année 2017 en France, le marché des aliments sans gluten était estimé à 60 millions d’euros avec une progression d’au moins 20 % en 5 ans. Les plus grandes marques de l’agroalimentaire comme Nestlé, Unilever et Barilla, et les grandes surfaces comme

Carrefour ou Auchan, se sont lancées, à côté des spécialistes traditionnels comme la marque italienne Schär, dans le sans gluten. Il s’agit de conquérir un marché des près de 5 millions de Français qui suivraient le régime sans gluten : 600 000 malades et intolérants et 4 millions de suiveurs de mode, d’après les estimations marketing. Au niveau mondial, le marché du sans gluten pourrait dépasser 3,5 milliards d’euros en 2020, le leader mondial étant les États-Unis avec un marché qui pèse déjà près d’un milliard d’euros.

 

Statines

Près de 40 millions de personnes de plus de 40 ans aux États-Unis ont une prescription de statines. En France le nombre de personnes de plus de 35 ans traitées est estimé à 6,5 millions.

Mais en 2017, pour la première fois, les personnes prenant réellement une statine en France ont été moins nombreuses que l’année précédente.  Or parmi eux se trouvaient des personnes ayant un besoin crucial de ces médicaments en particulier ceux qui avaient déjà fait un infarctus du myocarde ou un AVC.

Des arguments anti-statines sont largement répandus parfois soutenus par certains médecins : le cholestérol ne serait pas responsable de l’athérosclérose,  les statines seraient dangereuses…Des études particulièrement sérieuses prolongées, répétées et internationales confirment pourtant depuis plus de 20 ans le rôle du cholestérol et l’effet positif des statines ainsi que leur très bonne tolérance, comme par exemple la première étude réalisée en 1994 mais toujours d’actualité, l’étude 4S (pour Scandinavian Simvastatin Survival Study). Dans cette étude, 4 444 patients scandinaves ayant un antécédent de maladie coronarienne aiguë (angine de poitrine ou infarctus du myocarde) ont reçu soit de la simvastatine soit un placebo. Après un peu plus de 5 ans en moyenne, on observait dans le groupe traité par la simvastatine une baisse des taux de cholestérol total et LDL et surtout une mortalité́ cardiovasculaire significativement plus basse que dans le groupe ayant reçu le placebo ; il en était de même pour la réduction du nombre d’infarctus du myocarde et d’AVC.  Il n’y a pas eu plus de douleur musculaire dans le groupe traité que dans le groupe placebo.

 

Vrais et faux scandales

Il faut reconnaitre qu’il y a eu de véritables scandales médicaux an France comme celui du sang contaminé   qui a abouti à la mort de plusieurs milliers d’hémophiles ou de transfusés qui ont contracté le SIDA alors que cela aurait pu être évité ou celui du Médiator, médicament dangereux et peut utile dont la parenté avec d’autres médicaments connus pour être toxiques pour le cœur et le poumon a été dissimulée.

Dans ces deux cas, des personnes ont pris des décisions que la justice a condamnées.

A côté de cela, d’autres problèmes d’intolérance à des médicaments sont à tort qualifiés de scandale alors qu’il s’agit d’aléa thérapeutiques et que la recherche de coupables s’apparente à une chasse aux sorcières. Il en est ainsi de l’exemple récent du levothyrox.

En 2013, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament ayant constaté que différents lots de levothyrox n’avaient pas exactement la même teneur en hormone active a demandé au laboratoire de modifier les excipients. Après des recherches et des modifications des moyens de production, la nouvelle forme de levothyrox a été mise en vente en juin 2017

À plusieurs reprises des analyses ont montré la parfaite équivalence dans les doses de pro- duit actif et ont confirmé la bonne qualité du produit.

Malgré cela des personnes ont eu des symptômes mineurs qui pouvaient être éventuellement attribué à une intolérance et les média ont grossi tout à fait exagérément ce problème.

 

Information 

En 1947 déjà̀, le doyen de la faculté́ de médecine de Harvard, CS Burwell pouvait écrire : « Vos professeurs se sont efforcés de vous donner les meilleures opportunités d’apprentissage et vous ont transmis des connaissances éprouvées. Malgré́ cela la moitié de ce que vous avez appris n’est déjà̀ plus valable et ce qui me trouble le plus c’est que je ne sais pas de quelle moitié il s’agit ».

Depuis lors l’accumulation des connaissances a été exponentielle. Ainsi, en travaillant sans interruption 12 heures par jour, il faudrait près de 29 ans pour avoir lu tous les articles publiés jusqu’à ce jour sur le traitement du diabète.

Malgré cela, le public a souvent une perception très optimiste de ses capacités à avoir un avis éclairé sur les problèmes de santé. Les baromètres Santé 2010 réalisés par l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (Inpes) nous apprennent que 80 % environ de nos concitoyens s’estiment « bien ou très bien informés » sur différents risques pour la santé et les maladies.

D’après une enquête réalisée à la demande de l’Institut National du Cancer en 2015, 90 % des interrogés se disent bien informés du risque de cancer cutané́ lié à l’exposition solaire ; mais la majorité́ d’entre eux ont des croyances nettement fausses quant aux risques liés aux cabines à ultra-violet ou encore sur l’usage des produits de protection solaire.

L’éducation en matière de santé reste tout à fait insuffisante et laisse les personnes vulnérables à la manipulation.

En plus des obstacles inévitables liés à la complexité́ des problèmes scientifiques et à l’impossibilité́ d’avoir une information exhaustive, l’exploitation frauduleuse de l’intérêt soulevé́ par l’innovation thérapeutique est malheureusement loin d’être exceptionnelle.

Un bon exemple en est l’utilisation sans base scientifique démontrée des cellules-souches dans de nombreuses maladies par des praticiens peu scrupuleux. Ainsi à Düsseldorf en Allemagne, en 2015, deux enfants sont morts après un traitement par cellules-souches pour une maladie neurologique.

L’épidémie de microcéphalie en Amérique du Sud liée à l’infection maternelle par le virus Zika pendant la grossesse a donné́ lieu à une explosion de rumeurs.

On a pu lire sur Internet que ces microcéphalies :

  1. N’existaient pas, l’épidémie avait été inventée par l’OMS pour réduire les naissances,
  2. Étaient bien dues à un virus, mais celui-ci avait été fabriqué par la fondation Bill et Melinda Gates dans le but de promouvoir les vaccinations,
  3. Étaient en fait causées par des moustiques mutants crées par une compagnie brésilienne,
  4. Étaient dues aux pesticides.

Mais à côté de ces fake-news, on peut trouver une information de qualité aussi bien dans les media que sur Internet à condition d’aller sur les bons sites notamment institutionnels.

Sait-on suffisamment que le Service public d’Information en santé (www.sante.fr) prévu par la loi de 2016 est désormais opérationnel et fournit d’excellents dossiers d’information destinés au grand public ?

Les associations de patients sont souvent des alliés précieux des médecins et transmettent des conseils de valeur.

Le développement du concept de patients-experts est une voie d’avenir pour combler le fossé entre les professionnels de santé et la population.

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