La France va mal. La crise des gilets jaunes est un des symptômes de nos difficultés. Malheureusement, cette crise suscite peu d’interrogations sur ses fondements qui relèvent de l’histoire économique et sociale récente. Nous payons nous semble-t-il le prix de cinq abandons intervenus dès le début des années 70.

L’abandon de l’industrie nous prive d’emplois bien rémunérés, réduit notre croissance, dégrade nos comptes extérieurs. Cette mutation s’accompagne d’une contestation du développement économique quantitatif des 30 glorieuses, de ses conséquences sur l’environnement et de sa soutenabilité. Des décisions publiques majeures sont prises et ne font qu’accompagner cette évolution des mentalités : on renonce à l’impératif de production de l’après-guerre, avec pour conséquence un poids de notre industrie dans le PIB divisé par deux en 40 ans, sans doute à l’origine de notre affaiblissement en Europe.

L’abandon du travail nous a fait passer d’une société de privation, d’effort, d’héroïsme de l’après-guerre à une société d’abondance, de plaisir et de consommation où règne l’individualisme. On réduit considérablement le temps de travail pour donner du temps au loisir et à l’épanouissement personnel. Avancée de l’âge de départ en retraite, passage à la semaine de 35 heures, essor des dépenses de transferts sociaux destinés à financer une inactivité croissante ; toutes ces décisions politiques prisent au fil des ans ont sévèrement altéré notre modèle de société issu des 30 glorieuses. 

L’abandon de l’élitisme républicain dans l’éducation nous prive des compétences nous permettant de tirer profit de la révolution technologique. Cet élitisme républicain, qui avait donné pour mission à l’instruction publique de diffuser le plus largement possible un savoir élémentaire, a été délaissé par la réforme Jospin en 1989, donnant la priorité à « l’épanouissement de l’enfant ». Ainsi, nous perdons des compétences essentielles pour faire face aux enjeux de demain. 

L’abandon paradoxal de la discipline économique et financière, après l’avènement de l’Euro, fait planer le risque de crise financière en cas de remontée des taux. La politique monétaire de 1982 à 1997 nous a fait renouer partiellement avec une politique d’effort et de rigueur jusqu’au projet de construction de l’Euro. Mais dès l’instauration de ce dernier nous avons renoncé à la discipline économique qui avait été nécessaire à sa construction, pourtant essentielle à son bon fonctionnement, comme si les efforts consentis avaient épuisé le pays.

L’abandon des centres-villes a éclaté le tissu urbain, entrant en contradiction avec les impératifs d’un développement durable. A cet égard, la politique d’urbanisme qui a éclaté les lieux de vie, de travail, de vente… est, elle, pour le moins paradoxale : alors que les chocs pétroliers et les nouvelles sensibilités écologistes auraient dû entraîner un retour à la ville et à l’habitat resserré, on a poursuivi au fil des décennies dans le développement d’un urbanisme éclaté, organisé autour de l’automobile.

Ces abandons se renforcent l’un l’autre pour aboutir à une France qui ne produit pas suffisamment pour satisfaire les besoins de sa population et qui délivre des solutions palliatives en octroyant un pouvoir d’achat artificiel financé par l’endettement.

Par défaut d’analyse, la crise des gilets jaunes risque d’aboutir à un recours accru à ces solutions palliatives qui pourraient préparer une future crise économique et politique majeure : la France devra tôt ou tard produire plus ou consommer moins.

Michel Rousseau
Président de la Fondation Concorde

Philippe Ansel
Chef économiste de la Fondation Concorde

Tribune publié dans Marianne le 18/07/2019

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